Philippe Wyss | 1980-20 ?? : Du Nicaragua à la Suisse pour le développement communautaire et l’insertion.
publié leInterview de Philippe Wyss, ancien volontaire et membre du Comité. Entretien réalisé par Jacques Walliser, Président d’Eirene Suisse.
Dans cette conversation Philippe Wyss partage son expérience et ses débuts en tant que volontaire, puis en tant que membre du Comité d’Eirene Suisse.
Philippe Wyss lors de l’Assemblée Générale du 06 juin 2010, marquant la fusion entre GVOM et Eirene
Eirene Suisse – Journal Point d’? n°87 – décembre 2020
1980-20 ?? : Du Nicaragua à la Suisse pour le développement communautaire et l’insertion.
Conversation avec Philippe Wyss, ancien volontaire et membre du Comité. Entretien mené par Jacques Walliser, Président d’Eirene Suisse.
BBonjour Philippe, peux-tu nous résumer ton parcours et ton engagement au sein d’Eirene Suisse, en commençant par GVOM ?
J’ai toujours eu envie de partir, par esprit de solidarité avec des pays plus pauvres, laissés pour compte et/ou exploités.
Mon épouse et moi étions attirés par les pays d’Amérique Latine, plus particulièrement par les pays andins. Après ma formation de travailleur social, nous nous sommes donc rapprochés des quelques ONG qui travaillaient là-bas à l’époque. Comme il n’y avait pas de postes dans l’immédiat nous avons bien accroché avec GVOM, dont Gilbert coordonnait les activités. Nous avons suivi des formations de préparation au départ – dont une formation intensive de trois semaines – et nous nous sommes impliqués dans l’association.
En 1985, nous sommes partis en voyage pendant 7 mois dans 3 pays : Pérou, Bolivie et Équateur, en vue de pouvoir rapporter un projet dans lequel nous engager. Nous avons visité plusieurs ONG locales, et beaucoup de personnes rencontrées nous parlaient de leur regard qui se portait vers le Nicaragua qui était en train de construire quelque chose de nouveau et qui représentait un grand espoir pour le continent latino-américain.
GVOM était active dans le pays depuis 1979, avec quelques personnes engagées sur place : le groupe de Marion et Bernard, Viviane et Gérald… il paraissait évident que c’était là qu’il fallait apporter notre énergie. Nous avons donc posé les premiers jalons de ce qui allait être pour nous notre prochain engagement, et sommes rentrés en Suisse.
C’est à ce moment que nous nous sommes rencontrés ! Mon épouse et moi venions de rentrer du Mozambique. Et vous êtes repartis au Nicaragua en 86…
Nous avons rejoint l’ONG locale CEPA (Centro de Educación y Promoción Agraria), qui travaillait avec les communautés locales en éducation populaire, au transfert de savoirs et à la promotion de la médecine naturelle.
Nous devions nous installer pas très loin de la capitale, mais en arrivant, les besoins avaient changé et l’ONG locale nous a dirigé tout au sud, à la frontière avec le Costa Rica.
Avant 1979, les paysans de la région vivaient sur leurs petites parcelles, en grande autosuffisance, mais très dispersés, isolés. Cible idéale pour les groupes armés qui sévissaient dans la région, le gouvernement a décidé de les regrouper en petites communautés pour leur permettre de s’organiser et de se défendre, ainsi que pour réorganiser leur pouvoir économique.
Nous sommes restés 4 ans à travailler dans cette région, Emmanuelle avec le Ministère de la santé comme infirmière-sage-femme, moi-même avec le CEPA qui œuvrait au développement de la cohésion, au sein de, et entre ces villages nouvellement créés, et menait des projets pour développer une activité économique, (ré)organiser la vie sociale, apprendre à vivre ensemble.
Mon rôle était de coordonner le travail du CEPA entre les différents villages.
Il y avait des postes de santé et des écoles dans chacun des villages. L’objectif était que toute la population, adultes compris, ait accès à la santé et à l’éducation. Il y avait des cours pour les enfants, mais aussi des cours d’alphabétisation le soir pour les adultes. Je me souviens de paysans tenant un stylo pour la première fois….quelle émotion !
Est-ce que toute la communauté participait à cette éducation et à ces projets ?
Il ne faut pas croire que tout le monde était ravi de la situation. Nous étions dans une situation d’urgence, qui assurait la sécurité et une certaine stabilité. Et c’était une sorte de courant dans lequel les gens avaient envie d’apprendre, oui. Tout le monde ne venait pas toujours, certains jours l’énergie manquait après une journée de travail, ou alors il y avait des réunions de la milice, mais globalement toute la communauté était impliquée.
Le chef du village suivait lui-même ces cours. Il avait un projet – gagner en autonomie, lire et écrire – ce qu’il n’avait jamais pu faire avant ses 30 ans !
Comment se passait la vie sur place ? Le pays était en guerre…
Oui, et il y a eu cette vague d’assassinats… Si nous sommes restés, c’est en coordination avec les autorités locales, avec qui nous avons pu négocier les conditions de séjour.
C’était assez bizarre car on était dans un pays avec des foyers de guerre, et en même temps sur place la vie continuait. Mais ce serait mentir que de dire que tout était tranquille. C’est une des raisons qui nous a fait rejoindre San Carlos, le chef-lieu de la région après avoir vécu un peu moins d’une année dans un village complètement isolé, à 5 heures de bateau et marche à pied.
Comment ça s’est passé au retour en Suisse, comment avez-vous pu partager votre expérience ?
Il y avait toujours des oreilles attentives et intéressées ! En particulier chez les membres de GVOM, mais aussi à l’extérieur.
Le plus difficile à comprendre pour les gens, ou même à expliquer, c’est la transition pour sortir de la dictature, quand le pays s’arme pour le faire. Quel paradoxe pour un objecteur de conscience. Comme « coopérants », nous n’étions bien sûr pas armés, mais nous avons vécu dans cette atmosphère.
Et après le retour, comment t’es-tu impliqué ?
Parti comme volontaire GVOM, il me semblait évident de rester actif dans l’association. Gilbert a laissé la coordination à Francis, et ensuite j’ai pris le rôle de président pendant quelques années. C’était une période financièrement difficile, et la petite ONG GVOM ne faisait pas le poids face aux grandes ONG. Nous avons dû chercher des alliances.
Depuis un certain temps, GVOM et Eirene s’étaient rapprochées, nos visions se recoupaient sur beaucoup de points. Nous avons commencé par faire nos séances le même soir, dans un lieu commun, deux salles différentes, avec des moments communs.
Avec Alain Schwaar, président d’Eirene de l’époque, nous avons commencé à parler de fusion. Ça paraissait logique. Il fallait réussir à tenir dans une période où nous dépendions beaucoup de la DDC. Nous nous sommes dit que c’est bien d’être petit, mais qu’en unissant nos efforts, nous pouvions mieux résister. Et Eirene Suisse est née de la fusion de deux petites ONG, chacune avec ses forces et ses faiblesses.
Nous avons réussi à survivre à l’époque, et Eirene Suisse est toujours bien là ! Bravo à toutes et tous !
Il a fallu beaucoup de travail et de très nombreuses séances, un bel effort des membres des deux associations !
Es-tu retourné au Nicaragua ?
Oui, ma fille Tessalia est née là-bas. Vingt-cinq ans plus tard, quand elle a décidé d’y aller pour apprendre l’espagnol, nous avons profité d’y retourner. Ça avait beaucoup changé ! Avec du bon et du moins bon. Des transports, des routes, un réseau de communication qui facilite la vie des gens. Mais aussi un pied dans une économie « globale » où de minuscules pays principalement agricoles comme le Nicaragua ont beaucoup de peine à ne pas se faire manger.
Tu prends maintenant ta retraite, en tant que salarié, mais aussi avec le comité d’Eirene Suisse… tu y as participé durant de nombreuses années, tu as été un pilier dans l’histoire de l’association !
Ça faisait déjà quelques années que je me disais que j’avais vu le bout de ma participation au comité, qu’il fallait laisser la place aux jeunes. Mais c’était à un moment difficile pour l’association, au niveau financier, donc j’ai attendu. Aujourd’hui, l’association se porte nettement mieux, et je tiens à saluer le travail de l’équipe de coordination qui permet à Eirene Suisse d’être dans une situation stable. C’est le bon moment maintenant !
Quel message voudrais-tu adresser aux lecteurs du Point d’? ?
Laisser un message est un bien grand mot ! Mais il faut continuer à se battre, parce que ce n’est jamais fini. Ce n’est pas parce qu’on va mieux qu’on doit s’arrêter de lutter. Il y aura toujours des personnes plus pauvres et plus démunies.
De mon côté, je ne sais pas encore dans quoi je vais m’engager…Je vais continuer la Bourse à travail, créée par GVOM au début des années 80 avec Gilbert. C’était au moment de l’apparition du chômage en Suisse, 0.5% ! Il avait reçu un téléphone d’une femme qui lui demandait si on faisait quelque chose en Suisse qui était en train de se prendre une gifle dans le domaine de l’emploi. De la réflexion autour de notre engagement en Suisse est née la « Bourse À Travail », pour accompagner des personnes qui se retrouvaient au chômage. Aujourd’hui, la BÀT accompagne des personnes réfugiées, requérantes d’asile, pour retrouver dignité sociale et économique.
Pour le reste, on verra. Je pense qu’il ne faut pas trop organiser la retraite : j’ai envie de laisser venir les choses se présenter sur mon chemin !
Au nom de l’association, nous tenons à te remercier chaleureusement ! Nous sommes heureux que tu continues à nous soutenir au travers de la section vaudoise de l’association et nous réjouissons de te voir à l’occasion de nos prochains événements !
Propos recueillis par Florine JACQUES, Coordinatrice communication, recherche de fonds et programme Nord.