Salut Marta. Merci beaucoup d’avoir accepté de nous parler des organisations salvadoriennes de défense des droits des femmes et de tes expériences. Comment aimerais-tu te présenter aux lectrices suisses du «Point d’?» ?

Je suis Marta Rivas, défenseure des « territoires sans violence ». Je défends les droits des femmes, des personnes de la diversité sexuelle, des enfants, et des populations paysannes ou autochtones. Je suis également une paysanne de 31 ans. Je viens de la zone nord du Salvador, et je travaille avec ADES (Asociación de Desarrollo Económico Social) depuis 2013.

Comment en êtes-vous venu à vous définir comme défenseure des droits de la femme ?

Je dois mon identification en tant que défenseure des droits des femmes à mon travail au sein de ADES et à l’échange international dans différents espaces. Les événements, qui m’ont particulièrement influencé, ont été le travail en collaboration avec une collège d’ADES en faveur de la défense des droits des territoires et mes rapprochements avec le réseau salvadorien des défenseures des droits humains et avec le Collectif féministe. Ainsi, depuis 2015, je me décris aussi comme défenseure des droits des femmes.

Alexandra Carter & Marta Rivas, Salvador, 2020

Quelles structures au Salvador soutiennent ton travail comme défenseure des droits des femmes ?

Mes collègues de diverses organisations ont des années d’expérience dans la défense de l’environnement, la défense de la diversité sexuelle et la revendication des droits sexuels et reproductifs. D’autres font de l’éducation sur les droits par le biais de la communication alternative. Il existe également des organisations nationales qui interviennent dans mon département (=canton), comme le Collectif féministe, l’Alliance pour la souveraineté et la gouvernance au Salvador ou le Forum national de la santé. Le Réseaux des Défenseures des Droits de l’Homme unie déjà beaucoup de femmes, mais plutôt au niveau national. Aujourd’hui, il nous faut aussi une meilleure organisation au niveau du territoire.

Depuis 2011, nous avons une loi sur l’égalité, l’équité et l’éradication des discriminations à l’égard des femmes. Grâce à cette loi, l’éducation en matière de santé sexuelle et reproductive s’est améliorée, et des services de santé plus holistiques ont été développés. Il existe aussi une classification de la violence basée sur le genre, qui reconnaît de nombreux types de violence. Mais le défi reste dans l’application de la loi.

Les organisations des femmes communautaires sont également extrêmement importantes. Elles sont devenues des leaders dans la défense des droits des femmes et des droits environnementaux. Elles ont également créé des initiatives pour une économie autonome dans une perspective féministe et solidaire.

Au niveau individuel, beaucoup de ces femmes priorisent l’éducation de leurs filles et fils. Ainsi – et avec un accès facilité à l’éducation – elles réussissent à rompre une partie du système historique de discrimination des filles : aujourd’hui, il est normal que les femmes aient le droit d’étudier et de travailler. Cette vision «les femmes à la maison, les hommes dans la rue» a beaucoup changé.

Les 21 radios communautaires du pays restent essentielles dans ce changement social. Elles ont pris des positions très fortes en faveur des revendications de la mobilisation féministe. La radio a marqué la manière de plus en plus ouverte dont est perçue la question du genre et de la diversité sexuelle dans les communautés rurales.

Avant d’aller aux défis au niveau national, quelles sont les défis des organisations de défense des droits des femmes et du mouvement féministe ?

Il semble que les femmes sont présentes dans la plupart des mouvements de défense des droits fondamentaux, de défense de l’environnement face au modèle extractif ou encore de défense du territoire. Mais, les organisations mixtes ne s’engagent presque jamais dans les luttes féministes spécifiques. Soyons claire : on ne demande pas que les hommes disent aux femmes ce qu’elles doivent faire pour se libérer. Mais plutôt, que les hommes et organisations soutiennent ces luttes dites « des femmes ».

Les organisations sociales du Salvador promeuvent des conditions égales pour toutes et tous, une participation égale à la prise de décision et l’inclusion dans l’exercice du pouvoir. Il y a beaucoup de clarté politique, mais il semble être très difficile de l’intérioriser au sein des organisations. Souvent, le pouvoir reste dans les mains des plus âgées et des hommes, même si la « tête visible » est une femme. Certains hommes nous disent : « Bon, on lui a donné une opportunité, mais elle a refusé la responsabilité qui allait avec ». Mais il faut reconnaître, que les femmes portent des responsabilités différentes, surtout reliées au Care. Ces responsabilités changent beaucoup à travers le temps et avec l’âge des enfants ou des parents. Etant donné que les femmes ont souvent des responsabilités familiales en plus de leur travail, il ne leur ait pas toujours possible d’accepter dans l’immédiat des responsabilités professionnelles en plus. Il est donc important de réitérer les propositions de postes à responsabilités pour que les femmes puissent accepter le travail à un moment plus au opportun et de ne pas les exclure si elles refusent cette opportunité une fois.

Quelles sont les défis les plus importants au niveau du Salvador en ce qui concerne les droits des femmes ?

Les violences basées sur le genre sont malheureusement fréquentes et les droits des femmes les plus fondamentaux, comme la libre disposition de soi, sont souvent bafoués. Il y a aussi beaucoup de violences obstétriques dans les hôpitaux publics, jusqu’au point de refuser ou d’imposer la stérilisation contre la volonté de la patiente.

Culturellement, le Salvador est un pays très conservateur. l’Église promeut une morale misogyne qui limite ou élimine certains droits des femmes. L’État est laïque, oui, mais les croyances de chacun, et surtout des fonctionnaires, s’imposent dans les décisions politiques. En menant des politiques discriminatoires et en gardant le silence face à la réalité violente des femmes, l’État lui-même viole les droits des femmes.

Le mouvement féministe est très actif dans la dénonciation des féminicides et de la criminalisation de l’avortement. Le Salvador est l’un des pays du monde avec le taux de féminicides le plus élevé[1]. L’État ne se prononce pas sur ce sujet et ne donne pas suffisamment de ressources aux institutions qui tentent de changer cette réalité. Depuis 1998, l’interruption volontaire de grossesse est criminalisée par une peine de 30 à 40 ans d’emprisonnement. Il se produit, de plus, une discrimination dans l’application de la loi et du code pénal : des femmes qui avortent ou qui ont perdu leur enfant sont en fait condamnées pour homicide aggravé et emprisonnées pour 30 à 40 ans, alors que si un homme est reconnu coupable d’homicide aggravé, la peine couramment appliquée est de 20 à 25 ans.

Tu as déjà été en Suisse et dans différents espaces internationaux dans le cadre de ton travail de défenseure des droits des femmes. Y-a-t’il quelque chose en particulier que tu veux partager avec nos lectrices ?

Oui : Le Salvador est plus qu’une statistique d’homicides. Il est intéressant d’en savoir plus sur la manière dont le mouvement féministe se positionne et d’observer également comment fonctionnent les médias alternatifs. On peut en tirer des leçons importantes.

En lien direct avec la Suisse, il faudrait faire pression sur le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour soit instauré un traité juridiquement contraignant afin d’obliger les entreprises à respecter les droits humains et les droits environnementaux. L’une des responsabilités de la Suisse est de surveiller les entreprises et les banques suisses qui financent les multinationales qui violent des droits humains.

Merci pour ces suggestions très concrètes et d’avoir partagé ta vision et ton expérience avec nous !


[1] ONUDC, 2017, dans https://www.letemps.ch/monde/feminicide-un-fleau-mondial-persistant

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